Interview Leila Bousseta
Leïla Bousseta est une artiste sensible aux beautés intemporelles. Elle exprime cette sensibilité dans le croisement de deux de ses passions : la mode et l’hommage à l’immense patrimoine de son pays d’origine, le Maroc. La créatrice maîtrise ainsi avec brio l’art d’allier esthétisme et savoir-faire ancestraux, dans des pièces uniques et riches en détails. C’est donc avec une spontanéité passionnée que Leïla Bousseta se confie sur l’histoire de sa marque éponyme au Label AÉ Paris.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Leïla Bousseta et je suis la fondatrice et directrice créative de la marque Leïla Bousseta. Ce label est né de ma passion pour la mode et les métiers d’artisanat. Et pourtant… j’ai eu un parcours académique en physique donc ça peut paraître un peu bizarre (rire) !
Mais je suis quelqu’un de très attachée à mes origines et j’ai toujours été fascinée par l’industrie de la mode. La création de ma marque est donc une fusion entre ma vision personnelle de la mode qui est universelle et l’héritage vestimentaire maghrébin puisque je suis marocaine d’origine.
De quelle façon votre patrimoine culturel vous a inspiré ?
Vous savez, c’est mon cas et c’est le cas de tous les maghrébins : nous sommes très attachés à notre culture. C’est une culture qui est très riche de par son histoire et sa situation géographique. C’est une culture qui a traversé plusieurs siècles et qui a connu une richesse vestimentaire et culturelle très importante. On peut donc puiser de cette richesse pour faire de la création. Personnellement, ça a été mon cas.
Pouvez-vous nous parler de l’ADN de votre marque ?
Naturellement je dirai le caftan car c’est la pièce maîtresse de toutes les garde-robes au Maroc ! Mais, si je prends le temps de réfléchir, je dirai plutôt la petite veste. Dernièrement les créateurs au Maroc osent la petite veste. Ils l’incrustent de tous les codes vestimentaires marocains.
À l’inverse, le caftan est une pièce que seuls les marocains et les maghrébins oseraient porter. C’est une pièce difficile à exporter. Je trouve que la force d’une richesse culturelle réside justement dans le fait de pouvoir la sortir de son territoire et qu’elle soit ambassadrice d’une culture. Ça ne sert à rien qu’elle reste cloisonnée dans un pays ou une culture.
Pourquoi avoir choisi le bomber comme pièce clé de vos collections ?
Alors déjà c’est un article qui m’a toujours plu. Et puis je trouve que c’est un vêtement assez universel. On le retrouve dans la garde-robe de toutes les cultures et ça correspond parfaitement à ma vision des choses. Je voulais transmettre la richesse de ma culture et ma vision de la mode dans un vêtement universel que tout le monde peut porter n’importe où et n’importe quand.
De plus, le fait d’être mono-produit m’a permis, au début, de prendre le temps de trouver mon identité. Je pense que la chose la plus compliquée pour tout créateur est d’avoir sa propre identité, celle que les clients et la communauté pourraient par la suite reconnaître, sans être obligés de retourner l’étiquette. C’est pourquoi je me suis vraiment concentrée sur cette étape.
Ce n’est qu’après cette étape que j’ai décidé d’inscrire mon identité dans une garde-robe plus large. C’est ce que j’ai commencé à faire avec la dernière collection qui comprend des sarouels, des robes, des chemises… Mais le bomber a été un point de départ essentiel à ce développement.
Quelle est une journée type dans votre atelier, du dessin à sa mise en forme ?
Les journées dépendent un peu de la période de l’année parce que nous ne sommes pas dans un cycle continu. Ça va dépendre des saisons, d’un événement qui approche ou encore d’une collaboration. On est donc flexible en fonction de la saison et de ce qui est en train de se passer.
Mais généralement, notre processus de création passe par un certain nombre d’étapes. D’abord le choix de la matière que je fais moi même. Puis je choisis mon moodboard en prenant vraiment le temps de rassembler tout ce qui m’a inspiré dernièrement. Je dessine ensuite mes croquis et je construis le vêtement. Cette étape de construction du vêtement vient vraiment en dernier lieu à chaque collection parce que je fais très attention à garder une simplicité dans la forme de ma collection.Mes produits sont très simples en termes de coupe parce que je veux pouvoir incruster ensuite la culture et les codes dessus : c’est ce qui fait la force de mes pièces et de ma marque de façon générale.
Comment le covid a-t-il affecté votre travail de créatrice ?
C’est vrai que la période covid qui continue jusqu’à aujourd’hui a été une période très difficile parce que les délais de livraison et les paiement dans ce secteur viennent tardivement. Je m’explique : on vit et on alimente notre travail grâce aux revenus que l’on a engendré la saison précédente car on travaille par saison et non par mois. Avec le développement du covid, les choses se sont chamboulées et ça a éparpillé toutes les cartes. Moi personnellement ce qui m’a sauvé c’est le fait d’avoir très peu de charge grâce à une petite équipe dans laquelle chacun est multitâche. Je pouvais donc surmonter cette période, autrement j’aurai arrêté. Ça a malheureusement été le cas pour beaucoup de créateurs et je trouve cela dommage car ils faisaient du bon travail et ils se sont trouvés obligés de tout plaquer.
Comment aider les créateurs à surmonter ce contexte ?
Je pense que c’est d’abord le rôle de l’État car il y a des départements qui s’occupent de cela et ils ont vraiment le devoir et l’obligation en contexte de crise sanitaire d’accompagner ces start-ups et ces jeunes projets. C’est ensuite la responsabilité de toute la communauté sociale de penser à ces créateurs et de consommer leurs produits. Il est vrai que les produits de créateurs restent parfois au-dessus des moyens de la majorité, mais il faut sensibiliser les gens à consommer ces produits, ne serait-ce que pour encourager les créateurs à faire leur travail.
Selon vous, qu’est-ce qu’une mode intemporelle ?
La mode intemporelle est d’abord une mode qui ne suit pas les tendances. C’est une mode dans laquelle on retrouve l’identité du créateur. C’est une mode qui est porteuse de sens. Ce dernier point est le plus important pour moi parce que quand la mode a du sens, elle peut voyager n’importe où, n’importe quand, elle peut traverser les époques et les périodes. Mais quand elle suit juste les tendances d’une période donnée, elle finit par se ternir.
Pourquoi avoir choisi le Label AÉ pour représenter votre marque ?
Le choix du Label AÉ Paris a été pour moi très pertinent dans le sens où c’est une plateforme qui s’allie et qui converge avec mes principes de base. Elle défend les marques qui ont un contenu mode mais durable. Il y a généralement une confusion avec tout ce que l’on entend et tout ce qui est médiatisé sur la durabilité : on ne l’associe généralement qu’avec la durabilité environnementale. Mais en fait, le sens du terme est très large. Il comprend également la durabilité culturelle et c’est ce que mes produits défendent principalement car quand un vêtement est ancré dans une culture c’est du développement culturel ! Le Label Affaires Étrangères défend ces principes haut et fort. Il n’utilise pas ce discours que dans une stratégie marketing et il se montre très sérieux dans le choix de créateurs. Au début j’ai pensé (et j’avais raison d’ailleurs), que ça ne pouvait que m’apporter de bonnes choses. Aujourd’hui, après une année de collaboration, j’en suis encore très contente.
Merci pour cette interview passionnante ! Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Et bien oui, j’aimerais parler des réseaux sociaux ! En effet, il faut savoir que les réseaux sociaux sont pour les petits créateurs une arme à double tranchant. D’un côté ça permet un accès très rapide au client et à la communauté. Les réseaux sociaux ont modifié la forme des marchés en permettant à un nouvel environnement de se mettre en place (ce que l’on appelle la toile). Les marques et les consommateurs interagissent plus facilement sans être gêné par les barrières spatiales : vous êtes à Paris et je suis au Maroc et nous pouvons communiquer ! Ça a été le rôle des réseaux sociaux et d’internet en général.
Mais…ça a rendu les petites marques très vulnérables à la copie et au plagiat et c’est un côté très néfaste des réseaux sociaux. Les petites marques sont encore à leurs débuts, elles n’ont pas encore cette identité qui est très présente. Alors quand on copie vos produits, vous enterrez votre image. On ne sait plus qui est le copieur et qui est le créateur. On a donc envie de partager notre contenu, de créer un lien avec les clients et on a aussi cette peur d’être copié par d’autres. Il n’y a pas de système qui régisse les réseaux sociaux et c’est un vrai problème. Les choses commencent à changer mais ce changement ne suit pas l’évolution des réseaux sociaux.