Interview Nina Janvier
C’est dans son atelier à Montréal que la créatrice Nina Janvier pense, dessine, et fabrique à la main des bijoux sculptures uniques. Chaque bijou est le fruit d’un cheminement artistique qui débute dans son esprit avant de se traduire dans la matière. Nourrie d’inspirations artistiques diverses et d’un parcours en mouvement, Nina Janvier est une artiste-artisane à l’univers élégant, décalé et assumé. Découvrez l’histoire de sa marque éponyme à travers ses confidences au Label AÉ.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Nina Janvier, fondatrice de la marque éponyme. J’ai grandi en Normandie puis j’ai vécu à Paris, à Grenade et à Barcelone avant de m’installer à Montréal. J’ai fait des études en langues étrangères appliquées au commerce international qui m’ont amené à travailler chez Disney France, pour les produits dérivés. J’étais chef de produit textile et accessoire pendant un temps. Puis j’ai aussi eu plusieurs emplois dans la mode, notamment pour une marque de lingerie à Paris. Finalement je me suis rendu compte que j’accompagnais plutôt les créateurs et que je n’étais pas moi même créatrice. C’est quand je suis arrivée à Montréal il y a 7 ans, que j’ai décidé de me lancer dans des études orientées vers la mode, en tout cas en joaillerie. J’ai alors créé ma marque en 2015.
Le nom de ta marque est passé de Nina Nanas à Nina Janvier, pourquoi ce changement ?
Au départ, j’ai lancé ma marque sans trop de vision d’entreprise. J’avais juste repris mon nom instagram parce que je trouvais le petit jeu de mot avec l’ananas et mon prénom marrant. D’ailleurs, un des premiers bijoux que j’ai commercialisé, c’était un pendentif en forme d’ananas. Après il y a eu plusieurs déclinaisons, donc je trouvais que ça collait bien.
Sauf que j’ai évolué, mes goûts se sont affirmés et j’ai aussi changé, donc ça ne correspondait plus à ce que je faisais dans mes collections. Au départ j’avais un bijou, puis j’en ajoutais un autre, et au final ca faisait une collection. Mais au bout d’un moment, ça c’est structuré donc j’ai lancé des collections plus pensées et mieux réfléchies. À partir de là, mon nom ne correspondait plus. Nina Nanas faisait trop référence à un univers ludique. Même si j’ai encore un peu cet univers en tête, le nom Nina Nanas ne respirait plus la maturité que j’avais acquise au fil des années.
J’ai donc décidé de prendre mon nom de famille sous les conseils d’une amie. Ça m’a pris deux ans avant de faire la transition parce que je n’étais vraiment pas sûre. Pour moi, mon nom ne représente rien de spécial, je pense qu’on le voit différemment quand c’est notre propre nom ! Mais depuis je ne regrette rien parce j’ai vraiment de bons retours et je pense que ça a vraiment changé la donne pour ma compagnie de bijoux.
J’avais besoin de quelque chose qui me représente plus : et quoi de mieux que son propre nom pour cela ? Je m’approprie plus ma marque et selon les retours des clientes c’est un nom d’artiste donc je suis vraiment contente ! (rire)
Il est vrai que l’on a l’impression d’une maturité acquise au fil des collections. Est-ce que cette maturité implique un changement de clientèle ? En d’autres termes, à qui s’adresse désormais les bijoux Nina Janvier ?
Je pense en effet qu’il y a eu un changement de clientèle. Je l’ai vu avec l’avant dernière collection Dada et je commence à le voir avec la nouvelle collection que j’ai juste sortie dans ma boutique. Ce n’est pas le même type de clientèle par rapport au début, lorsque je faisais des ananas et des petits bijoux minimalistes et plus entrée de gamme. Avant j’avais tendance à avoir une clientèle plus jeune que moi, je dirais dans le début de la vingtaine. Maintenant la clientèle est un peu plus âgée. Finalement elle est plus proche de mon âge. J’ai 37 ans et les gens que j’attire sont autour de mon âge voire au dessus. Au niveau du style, il y a sûrement une maturité qui se reflète, les collections sont mieux faites. Et vu que ça me correspond mieux, ça attire forcément des gens plus proches de moi, de mes goûts, de mon style et de mon âge.
C’est sûr aussi que mes collections sont un peu plus chères. J’ai monté en gamme et là je monte un plus en gamme avec la suivante. Ça implique forcément un autre budget pour les clients, donc je pense que ça se fait naturellement aussi.
Quelles sont tes principales sources d’inspirations ?
Principalement l’art et j’y vais vraiment avec mes goûts personnels. J’ai une affinité pour tout ce qui est la période Dada, donc j’en avais fait une collection. Ça ne veut pas dire que je ne m’en inspire plus pour les prochaines ou les précédentes qui étaient teintées de dadaïsme et de surréalisme.
Là je pars quand même sur autre chose, en tout cas le storytelling est différent. C’est un thème un peu plus marin. Ce n’est pas la promenade sur le bord de mer, c’est plutôt tout ce qui est préparation des navires, des bateaux, le travail sur le port, le travail difficile, la place des femmes dans le monde de la marine, les tempêtes etc… Dit comme ça, c’est un aspect un peu sombre de la mer et de ce qui tourne autour ! (rire) Mais comme j’ai besoin de beaucoup de couleurs autour de moi, ma collection est ponctuée de beaucoup de touches de couleurs qui viennent, finalement, en contradiction avec tout cet univers un peu difficile. Et je vais quand même le rattacher à l’art parce que j’ai besoin de ça et j’ai construit ma marque autour de ça.
Mes inspirations sont donc assez variées, mais je dirai qu’en général j’ai une affinité pour l’art décoratif, les petites sculptures et les beaux objets. Tu sais, les petits objets que l’on accumule et qui ne servent à pas grand-chose parce qu’ils ne sont pas forcément utiles ? Je pourrais en avoir une collection entière !
Dans la collection Dada, tu mets à l’honneur les femmes et leur influence sur ce mouvement artistique et littéraire du XXème siècle. Et dans cette nouvelle collection, tu t’inspires aussi des femmes et de leurs conditions de travail. Peux-tu nous en dire plus sur la place de la femme dans tes collections ?
C’est quand même quelque chose qui me touche de plus en plus. Je n’aime pas dire que c’est dans l’ère du temps parce que ce n’est pas vrai. Mais disons qu’actuellement beaucoup de débats reviennent sur la place des femmes avec des changements positifs. Ça m’a beaucoup impacté parce qu’en tant que femme, je me sens directement concernée même si j’ai une place de femme privilégiée qui est née en France et qui vit au Canada. Donc oui, ça me touche et c’est juste pour mettre un peu l’accent là dessus. Je ne veux pas faire une collection féministe mais je veux le mentionner pour dire que c’est présent et important.
Après j’ai quand même certains modèles qui sont mixtes. Mais je pense que de manière assez naturelle, je fais des collections pour les femmes, parce que mes bijoux c’est avant tout des bijoux que j’aimerais porter en tant que femme. C’est donc un processus naturel avec une volonté de mettre un peu l’accent sur des problématiques actuelles.
Comment se passe une journée type dans ton atelier ? En d’autres termes comment le bijou né et évolue avant d’arriver au client ?
J’ai un processus créatif assez lent et en même temps, je réalise avec le temps, que la création c’est ça. Ce n’est pas anormal de prendre son temps parce que ça reste quand même un travail artisanal. Je ne suis pas une machine, je suis toute seule et je ne veux pas rentrer dans un système de “fast fashion”. Je veux prendre le temps de développer des produits qui sont vendus au prix juste. Même si ça paraît cher, ce sera le prix juste parce que j’y passe du temps.
À la base c’est beaucoup de recherche. J’y vais au départ avec une impulsion. Il y a quelque chose qui me plaît : un objet, un thème, un style. Alors j’y pense, j’y pense, j’y pense. Je le retourne dans tous les sens, je vois si c’est une façade ou pas, en général ça ne l’est pas. Cette phase de réflexion dure des semaines voire des mois.
Et puis, au fur et à mesure, j’ai une idée de traduction en bijou que je vais commencer à développer. Je vais travailler peut-être la cire ou peut-être directement les métaux. J’accumule beaucoup d’images et des morceaux de texte dans un fourre-tout sur mon téléphone et mon ordinateur et ça devient vraiment le bazar. Au bout d’un moment, je commence à être très mal à l’aise avec tout ce bazar et j’ai besoin de structure. C’est là que je commence un travail de nettoyage : je vais faire des sélections et voir ce qui me plait le plus.
Ensuite, je reprends les petits bouts de métaux, les échantillons que j’avais travaillés et je me force à choisir un axe de création .Là je dessine tout ce que je peux, tout ce qui me passe par la tête. J’essaie au maximum de fabriquer tout ce que j’ai dessiné et le temps fait que certaines choses s’éliminent naturellement.
Quand j’ai décidé des modèles je les fabriques et je fais photographier le bijou sur fond blanc. À partir de là, je sais que je ne le touche plus.
C’est alors tout le travail de story telling qui arrive : les recherches, le texte, l’histoire. Je prends beaucoup de temps à écrire l’histoire et les textes parce que j’ai besoin de me renseigner sur chaque thème. Il y a des choses, par exemple, sur lesquelles je suis revenue parce qu’au moment de faire les bijoux ce n’était pas assez clair ou ce n’était pas ce que je voulais dire. J’ai ce besoin de recherche et de détail dans les mots, pour arriver à le traduire dans le bijou. Ça nourrit l’interprétation du bijou et, parfois, c’est l’inverse, le bijou m’amène à réfléchir un peu plus sur l’histoire. C’est donc un travail qui va de paire
C’est aussi à ce moment-là que je fixe le prix avant de mettre le bijou en boutique ou en ligne.
Est-ce que tu as une pièce favorite ?
Ça dépend des collections. Dans la collection Dada, j’aime beaucoup la chevalière Suzanne. C’est une chevalière que j’ai sculpté dans la cire avec un motif dessus que j’ai gravé à la fin. Ce motif représente un peu toutes les formes présentes dans la collection. Je trouve que c’est une chevalière quand même réussie parce que d’une, elle est très confortable, de deux, je la trouve élégante, et de trois, elle a ce côté un petit peu ludique que j’aime bien mais sans en faire trop.
J’aimais beaucoup aussi les boucles d’oreilles Sophie et Elsa qui sont asymétriques. Je trouve qu’elles représentaient bien ce jeu de mouvement. Elles étaient colorées, complètement asymétriques et ça, j’adore ! Puis finalement ça a été un de mes meilleurs vendeurs donc je pense que j’ai eu la confirmation que c’était un produit cool ! (rire)
Là, dans la collection qui arrive, j’ai un coup de cœur pour un collier de perles que j’ai développé et sur lequel j’ai beaucoup travaillé. Il paraît simple quand on le voit, mais j’ai beaucoup travaillé le fermoir. Techniquement ça a été un challenge pour moi et je trouve que ça en fait une pièce à part. C’est vraiment un collier de perle classique revisité. D’abord, avec ce fermoir qui est différent et qui sert un peu d’élément décoratif. Et aussi parce que j’ai utilisé des fils de couleur fluo que je noue entre chaque perle et ça donne une vraie touche moderne au collier de perle traditionnel. C’est réellement ma pièce favorite de la nouvelle collection.
Cette nouvelle collection attise la curiosité ! Quand pourrons-nous la retrouver ?
Pas tout de suite ! J’ai ouvert une boutique à Montréal au mois de juillet et la collection est là. Mais je n’ai pas encore débuté le travail de photographie pour le site, ni les documents pour les revendeurs. C’est aussi vraiment une année particulière. La boutique n’était pas prévue, c’était une opportunité que j’ai saisi au vol. Et je suis partie du principe que, de toute façon, on venait de vivre presque deux ans un peu hors du commun et que si tout n’était pas prêt dans les règles de l’art comme on s’y attend habituellement, ce n’est pas si grave et on s’y adapte !
Je suis un peu en retard mais en même temps je me dis que c’est comme ça et puis ce sera différent puis c’est aussi cool que ce ne soit pas fait comme d’habitude ! (rire)
Je pense surtout que ces deux dernières années ont déconstruit beaucoup de choses, on s’est rendu compte que certaines choses ne pouvaient plus fonctionner comme avant. Ça a remis en cause pas mal de choses en tout cas dans le milieu de la mode.
Selon toi, qu’est ce qu’une mode intemporelle ?
Moi je suis un peu à l’inverse du bijou classique qu’on peut porter toute sa vie parce que c’est une forme qui ne va pas bouger. Ma définition c’est d’avoir un coup de cœur qui dure toujours. Ça peut être quelque chose complètement fou qui ne va plus correspondre à ce qui est dans l’ère du temps, mais c’est intemporel parce que ça t’es propre et que ça part d’une émotion forte. J’ai envie que les gens qui achètent mes bijoux soient des gens qui aient une vraie affinité, que ça leur crée une émotion et que pour eux, ça devienne une pièce intemporelle parce que ça a été très fort dès le début.
Mais je refuse un peu de faire des choses intemporelles dans le sens classique du terme. C’est quand même un terme assez délicat que j’emploie très peu car j’ai l’impression d’avoir une définition à part. Disons que si l’on parle en terme textile d’une mode intemporelle, ce serait un trench que l’on peut porter tous les ans qui va avec tout et que tout le monde va apprécier. On a tous des pièces comme ça. Or ce n’est pas ce que je veux faire avec mes bijoux. Je veux aller de moins en moins vers ça. Je ne veux pas faire une bague très simple parce que tout le monde va aimer ça toute sa vie. Ce n’est pas comme ça que je vois la mode en tout cas.
Pourquoi avoir choisi le Label AÉ pour représenter ta marque ?
Je trouvais qu’il y avait du caractère dans la sélection d’Eddy. Je ne sais pas pourquoi ça m’a plu tout de suite. Dès le départ il y avait un caractère avec ce mélange de culture, de pièces ou de marques comme Tremblepierre avec ses kimonos. Pour moi le mot juste pour décrire le Label AÉ c’est vraiment caractère. Il y a une sélection qui a du caractère, qui est colorée mais qui est de bon goût. Il y a quelque chose qui me rappelle un peu les arts. J’ai l’impression que c’est un mélange du Musée du Quai Branly avec de la mode un peu funky mais pas trop. Il y a une espèce d’élégance qui s’en dégage et en même temps c’est quand même très marqué. En bref, j’ai vraiment eu un coup de cœur. Et puis après j’ai rencontré Eddy et là c’était un coup de coeur pour la personne aussi donc tout fit ! (rire)